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L’appropriation des Risques Psychosociaux par les Ressources Humaines dans les entreprises françaises de plus de cinquante salariés

16 novembre 2010 1 commentaire

S’appuyant sur un travail universitaire dans le cadre d’une formation complémentaire en Management des Hommes et des Organisations, à l’Institut d’Administration des Entreprises de l’Université Paul Verlaine de Metz, nous vous proposons une synthèse (sous la forme de plusieurs articles) sur la problématique suivante : « les leviers ressources humaines dans la prévention et gestion des risques psychosociaux dans les entreprises françaises de cinquante salariés et plus ».

Les risques psychosociaux sont en effet le plus souvent abordés sous l’angle psychologique avec pour objectif de renforcer la capacité de chaque individu à faire face aux situations de stress.

C’est à travers une approche plus systémique et prenant en compte l’organisation du travail que  nous aborderons les causes – racines de cette souffrance au travail. Très peu d’entreprises se sont engagées dans ce type de démarche le plus souvent par manque de temps et de non connaissance de cette problématique.

Toujours en prévention primaire, l’efficience des outils de gestion de ressources humaines ne permettrait-elle pas de réduire les facteurs qui engendrent le stress et la violence au travail, en agissant sur la communication interne, la motivation des salariés, la reconnaissance des salariés entre autres… ?

 

La situation actuelle du monde de l’entreprise et de ses collaborateurs

Le Centre d’analyse stratégique, dans son rapport La santé mentale, l’affaire de tous, pour une approche cohérente de la qualité de vie (2009), dresse un état de la situation actuelle : « flexibilité, réactivité, polycompétence et polyvalence sont le lot quotidien des collaborateurs de nombreuses entreprises et organisations institutionnelles ».

Fort est de constater que ce système repose sur la double contrainte[1] ou les injonctions paradoxales que nous pourrions définir comme des « ordres explicites ou implicites intimés à quelqu’un qui ne peut en satisfaire un sans violer l’autre » :

  • Les injonctions à l’autonomie sans donner de moyens effectifs, notamment du fait de la « procéduralisation » du travail et l’importance croissante de règles à suivre (certains métiers sont plus propices que d’autres, citons par exemple les conseillers des centres de relation client ou tous les métiers liés aux nouvelles technologies de l’information et de la communication) ;
  • L’exigence de qualité qui amène des entreprises à positionner le client au cœur de tous leurs dispositifs et qui simultanément prône la mise en place de pratiques contraires, par exemple en minutant le temps moyen de connexion lors d’un appel à un centre de relation client. Les salariés vivent désormais à l’heure de l’entreprise hypermoderne fondée sur une culture de la réactivité extrême et de l’adaptabilité permanente.

Aux pathologies de l’excellence auraient succédé des pathologies de l’excès », pour la sociologue Nicole Aubert (2008)

  • L’affirmation du collectif de travail et la « déstructuration des solidarités entre les salariés » (Dejours C, 2009) par l’évaluation individuelle des performances qui créée de la concurrence, voire de la haine entre les collaborateurs ;
  • L’importance de la communication et des espaces formels et informels de communication qui se réduisent, comme cette société qui considère que les temps d’échanges liées aux passations de consignes entre deux équipes ne doivent pas être comptabilisés en temps de travail, ou cette autre entreprise qui ne permet pas aux collaborateurs de donner un point de vue s’il n’est pas « politiquement correct » en réunion d’équipe ;
  • L’obsession du court terme et l’importance des projections à long terme.

Les salariés doivent donc s’adapter aux nouvelles exigences temporelles : urgence, immédiateté, instantanéité… En outre« l’exigence de performance raidit les relations entre les individus » analyse Nicole Aubert. Le monde du travail est tellement obnubilé par la rentabilité immédiate « que la politesse est éludée, on n’a plus le temps… » (Corine Moriou , magazine L’Entreprise,  2007). « Plus de cravate, tutoiement de rigueur, travail en réseau… On croit que l’on peut se passer des rituels de la politesse. L’informel prime sur le formel, et la familiarité, sur la distance », précise le psychiatre Eric Albert, « le jeu relationnel s’est complexifié avec la net économie ».

Nous ne pouvons dresser un tableau de la situation actuelle sans évoquer les restructurations telles que le définit le Comité d’experts du rapport HIRES[2], « ce sont des changements organisationnels qui doivent concerner au moins un secteur entier de l’entreprise ou l’entreprise dans son ensemble et se traduit par une fermeture, une réduction d’effectifs, l’externalisation, « l’offshoring[3] », la sous-traitance, la fusion, la délocalisation de la production, la mobilité interne ou toute réorganisation interne complexe ».

Le travail a une influence déterminante sur la santé des individus (Schabracq, 2003). De nombreuses études scientifiques (Niosh, 2002 ; Probst,  2003 ; Vitanen at al., 2005 ; Osthus, 2007) démontrent que pendant les phases de restructuration organisationnelle en particulier, la santé des salariés peut être mise en danger. Il convient également de bien prendre en compte l’avant (c’est un processus qui débute bien avant que n’ait lieu la fermeture ou la réduction d’effectifs) et l’après (le processus s’étend bien au-delà de cette phase critique) de la crise qui sont souvent négligés et pourtant avec des impacts certains sur la santé, et plus particulièrement psychologique. Selon l’étude allemande BIBB/BAuA Survey[4], il apparaît que 61 % des personnes ayant vécu une restructuration associent toujours cette expérience à un stress et à une pression professionnelle accrus.

Les résultats suggèrent aussi que le stress dû à la perte d’un emploi exacerbait ou aggravait une maladie ou un trouble existant plutôt qu’il ne les déclenchait (comme seulement des effets à court terme ont été décelés). 60 % des personnes ont fait l’expérience du stress et de la pression professionnelle lors de licenciements ou de réductions d’effectifs. Les analyses ont révélé un risque de mortalité globale plus élevé pour les hommes quatre ans après la fermeture de leur entreprise. Les causes en étaient essentiellement les suicides, l’alcoolisme et les maladies cardio-vasculaires.

Tous ces éléments démontrent les liens de cause à effet, entre le travail et la santé des salariés. Dans un prochain article, nous nous interrogerons si certaines formes d’organisation du travail entraînent plus d’impacts négatifs en termes de santé de travail ?



[1] Le « double bind » est un concept apparu en 1956, théorisé par Gregory Bateson, qui désigne une situation de paradoxe imposé.

[2] Publié en janvier 2009, le rapport HIRES, pour « Health in restructuring », est la première synthèse européenne des études scientifiques et empiriques sur les impacts des restructurations. Financé par la Commission Européenne, HIRES a regroupé 13 experts autour du Pr Thomas Kieselbach, de l’Université de Brême (Allemagne).

[3] « L’offshoring »désigne la délocalisation des activités de service (centres de relation client, comptabilité, service paie…) ou de production (centres de production bancaire, d’assurances et d’informatique, armement avec le Maroc, par exemple) de certaines entreprises vers des pays dont le salaire est moindre.

[4] L’enquête BIBB/BAuA Survey porte sur les restructurations en Allemagne. Sa dernière enquête date de 2005-2006.